Lorsque l'on entend le mot "émotion", notre esprit est souvent prompt à opérer un raccourci qui nous amène à croire qu'il est uniquement question de joie, de tristesse, de peur, de surprise ou encore de dégoût. Or c'est justement à cause de cette perception erronée que nous avons des phénomène émotionnels que naît ce flou, cette incompréhension qui consiste à penser que les émotions sont, in fine, d'une importance relativement secondaire dans la sphère travail. Il se trouve que c'est exactement l'inverse.
Les émotions au quotidien
Les émotions sont si implantées dans notre quotidien, si partie prenante de la vie en entreprise que l’on pourrait les comparer à la masse immergée d’un iceberg, énorme par sa taille et pourtant noyé sous la surface… En entreprise, les émotions opèrent à tous les niveaux. Ce sont elles qui sous-tendent l’écrasante majorité de nos comportements, de nos actions, de nos réactions, de nos choix et de nos aspirations. Loin d’être les phénomènes isolés et éphémères que l’on croit, elles jouent un rôle de premier plan dans la performance et le bien être individuel, dans les compétences sociales et la qualité relationnelle ainsi que dans le climat organisationnel global de l’entreprise.
Les émotions sont protéiformes.
Cela signifie qu’au delà de la joie, la tristesse, la peur, la surprise et le dégoût, il existe une myriade de phénomènes qui s’avèrent éminemment émotionnels parce qu’ils procèdent de la même mécanique psycho-corporelle. L’émotion est un personnage aux mille visages qui s’exprime des dizaines de fois par jour ! Tantôt sous la forme de d’audace et d’assurance, tantôt sous la forme d’orgueil et de mépris… Mentionnons également la félicité et l’estime, ou bien encore l’irritation et l’insatisfaction… Egalement l’entrain et l’admiration ou bien encore le remord et la frustration…
Les phénomènes émotionnels sont omniprésents.
Nichés au plus profond de notre vie personnelle et professionnelle, ils déterminent notre état psychologique, influencent nos pensées, conditionnent nos comportements, façonnent notre humeur, sculptent notre personnalité, pèsent sur notre santé, construisent et déconstruisent nos relations, orientent nos décisions et modèlent notre avenir. Rien que ça ! L’émotionnel est la partie immergée de l’iceberg, si son poids sur notre vie semble de prime abord secondaire, c’est parce que nous avons tendance à occulter ce qui se trame sous la surface… D’où l’impérieuse nécessité d’adopter une grille de lecture lucide et éclairée sur ces phénomènes émotionnels.
Prendre conscience de la nature contagieuse et virale d’une émotion.
Le cerveau de l’être Humain est ainsi fait qu’il dispose de neurones miroirs lesquels ont principalement pour fonction de permettre aux membres d’un groupe de se synchroniser émotionnellement entre eux. Comprenons que ce processus complexe possède des racines profondes qui plongent dans les origines de l’espèces et justifient leur pérennité par l’impératif de survie. Ce phénomène de contagion émotionnelle permet à la tribu, à la famille ou au groupe Humain quel qu’il soit d’adopter une fréquence émotionnelle commune laquelle induira des réponses comportementales homogènes et plus ou moins adaptées aux diverses situations rencontrées. Il s’avère que ce type de schéma collectif ne s’arrête pas aux portes des entreprises d’aujourd’hui, bien au contraire ! Il est aisé de se figurer quel impact aura une poignée d’individus anxieux au sein d’une équipe ou bien encore quelle peut-être l’influence d’un collaborateur colérique sur l’équilibre émotionnel d’un service… Parce que nous sommes câblés pour vibrer à des fréquences synchrones, l’émotion est le parfait véhicule que l’évolution a sélectionné afin d’induire des comportements à l’échelle des groupes. Et, par extension, à l’échelle des entreprises.
Prendre conscience de la nature toxique-énergivore d’une émotion.
En matière de phénomènes émotionnels, la ligne de démarcation entre émotions dites négatives et émotions dites positives est parfois mince et mouvante… tant et si bien qu’il convient de porter un regard nuancé sur ces phénomènes. Néanmoins, il est possible d’identifier deux grandes polarités qui couvrent le spectre des émotions. Les émotions toxique-énergivore constituent une catégorie d’états psycho-corporels plutôt enclin à nous desservir, qu’elles surviennent dans la sphère privée ou professionnelle. Sans prétendre être exhaustif, nommons par exemple la colère, le ressentiment, l’humiliation, la honte, la torpeur ou bien encore l’inquiétude. Entendons-nous bien, ce qui rend toxique et énergivore ces états émotionnels réside dans l’intensité et la durée de ceux-ci. Alors qu’une colère ponctuelle et modérée pourra, dans certains contextes, engendrer des effets vertueux à l’échelle d’un groupe, la même émotion générée de manière démesurée et récurrente pourra être lourde de conséquences… La nature toxique et énergivore se traduit par le fait qu’elle ronge les capacités individuelles, relationnelles et collectives tout en phagocytant l’énergie psychique et physique des personnes ou des groupes qui en sont victimes.
Prendre conscience de la nature cinétique-dynamogène d’une émotion.
L’autre grande polarité qu’il est aisé d’identifier regroupe les émotions qui sont capables de nous mettre en mouvement (cinétique) et qui insufflent de l’énergie pour agir, réagir, décider et se comporter de manière vertueuse, au niveau individuel, relationnel et collectif. Entrent dans cette catégorie les états psycho-corporels tels que le courage, la gentillesse, la lucidité, l’entrain, la bienveillance voire, l’amour. Lorsqu’elles se déploient au sein d’un collaborateur, d’un service ou bien encore à l’échelle de l’entreprise, ces émotions cinétiques-dynamogènes apportent énormément de valeur ajoutée : elles augmentent les performances, fluidifient les échanges, assainissent les frictions et contribuent à créer un climat d’entreprise propice à l’enthousiasme, à l’optimisme, à la créativité ainsi qu’un sentiment diffus de bien-être au travail. Cultiver un fertile terreau d’émotions cinétiques-dynamogènes constituent une habile stratégie pour toute organisation qui souhaite optimiser la Qualité de Vie au Travail tout en diminuant mécaniquement les Risques Psycho-Sociaux.
Prendre conscience de la nature malléable/modelable d’une émotion.
Dans la vie de tous les jours, les états émotionnels ne sont jamais scellés dans le marbre. Les instants de joie ont tendance à s’estomper tout comme les périodes de tristesse ont tendance à se diluer. Pourtant, même si la la versatilité et le retour à l’équilibre est souvent la règle, il n’est pas rare que certains états persistent dans le temps. C’est notamment le cas du stress chronique, de l’ennui latent ainsi que des états anxieux et dépressifs. La raison pour laquelle ces états émotionnels s’installent durablement vient du fait que la vie en entreprise représente une somme de contextes, d’interactions et de situations parfois délicates qui nourrissent insidieusement des schémas de renforcement négatif. La bonne nouvelle est que l’émotion est malléable et modelable. Il est possible de la transformer et d’inverser sa polarité. Si l’on nous en donne les moyens, nous sommes tous capables de faire évoluer nos états émotionnels les plus problématiques vers des états positifs, cinétiques-dynamogènes, propice à la performance et au bien-être. Cette mutation émotionnelle peut être activée à trois niveaux :
▶ au niveau du collaborateur, de sa performance individuelle et de son bien-être personnel
▶ au niveau des interactions, de la performance managériale et de la qualité relationnelle
▶ au niveau de l'organisation, de la performance collective et du climat d'entreprise
Opérer la mutation en implémentant les bonnes pratiques.
Amener une entreprise à opérer ce type de mutation vertueuse est un projet qui requiert de s’appuyer sur des bonnes pratiques individuelles, relationnelles, collectives et organisationnelles. A l’échelle individuelle, il conviendra d’utiliser intelligemment les conférences (pour créer le déclic), la formation (pour fournir des outils de progression), le coaching (pour remodeler les schémas individuels), les ateliers-workshop (pour ancrer des expériences interactives vertueuses) ainsi que les formats expérientiels lesquels sont propices à provoquer des changements durables au sein des comportements. A l’échelle relationnelle et managériale, il conviendra d’utiliser les même leviers en insistant sur l’intelligence émotionnelle inter-personnelle, l’assertivité ainsi que les techniques de communication non-violente. Un effort particulier sera à fournir sur le plan de la vision d’entreprise et du sens lesquels constituent deux axes majeurs de progression. A l’échelle de l’organisation, il conviendra de repenser les espaces de travail, d’étoffer le catalogue d’activités « wellbeingness » et de réfléchir à des dispositifs hiérarchiques moins verticaux. Il est ici important de prendre conscience que la bonne pratique doit être au service de la transformation individuelle, relationnelle et organisationnelle et que sa pertinence doit être évaluée au regard de son efficacité dans le cadre du projet de transformation.
L'émotion est une matière première, puissante et instable, qu'il est possible de canaliser, de transformer et d'utiliser de manière vertueuse. Mettre l'émotion au service du collaborateur, du management et de l'entreprise est à la fois un challenge, un investissement et une nécessité.
Sean Luzi
Auteur (Ed. Dunod) et Conférencier
Sean est conférencier, spécialiste des émotions en entreprise. Ses interventions dynamiques invitent à porter un regard neuf et lucide sur le rôle clé que jouent les émotions à l’échelle individuelle, relationnelle et organisationnelle.